La formation Captain

Après trois ans de formation initiale et treize ans d’activité comme Officier Pilote, je pars en formation Commandant de Bord !
C’est une étape immense dans la carrière d’un pilote, un mélange d’excitation et de responsabilité. J’ai décidé de partager ici, au fil des étapes, cette formation exigeante et passionnante.

Du copilote au commandant

Nous commençons comme Officier Pilote sur moyen-courrier : A320, Boeing 737, A220... Nous progressons ensuite en fonction des départs à la retraite et des embauches. Chaque changement d’avion exige une Qualification Technique (QT) : une formation dédiée à un avion précis (un pilote ne vole que sur un seul type à la fois). Il y a 4 ans, j’ai quitté l’A320 pour suivre une QT Boeing 777 et passer sur long-courrier. Aujourd’hui, me voilà face à un nouveau cap : le siège de commandant et un nouvel avion pour moi le Boeing 737.

La formation Commandant de Bord est l’opportunité unique de consolider toutes ses connaissances et expériences et d’aller encore plus loin en développant son leadership et son habileté à la prise de décision. Elle débute par un simulateur d’évaluation, sur votre machine actuelle.

Le simulateur : première épreuve

La formation commence par un passage en simulateur. Une cabine grandeur nature, reproduite à l’identique : chaque bouton, chaque vibration, chaque bruit est celui de l’avion réel. Le scénario : décollage de Hong Kong, brouillard, avion lourd. À 10 000 pieds, une panne sévère survient : double panne hydraulique ou surchauffe moteur.

Dans ces moments, chaque pilote ressent le “Startle Effect” : un sursaut, une onde de choc qui bloque la pensée pendant quelques secondes. Le stress monte.
La clé ? Revenir aux fondamentaux :

  1. Fly – Qui pilote ? La vitesse et l’altitude sont-elles stables ?

  2. Navigate – Où allons-nous ? Quelle trajectoire sécurise la situation ?

  3. Communicate – Alerter le contrôle aérien, informer équipage et passagers.

Ce n’est qu’ensuite que viennent les check-lists, l’analyse technique et les décisions : déroutement, gestion de la panne, options possible.

Plus qu’une formation technique

À la fin de l’exercice, l’instructeur débriefe. On repart lucide, enrichi, un peu plus proche du rôle que l’on s’apprête à endosser.

Car être commandant, ce n’est pas seulement gérer une panne. C’est aussi décider, communiquer et incarner une autorité.
Assurer la sécurité, parfois débarquer un passager dangereux, garantir la mission commerciale (ponctualité, confort, régularité)… La fonction implique une gestion permanente des priorités et un regard qui, en cas de crise, se tourne toujours vers le commandant.

Je ne connais pas tout, je ne sais pas tout faire, j’ai besoin des autres

La suite de la formation

Quels sont nos points forts, nos faiblesses ? La deuxième étape de la formation invite à une véritable introspection : prendre conscience de notre avenir proche et se questionner sur nous-même, bien au-delà de la technique. Nous suivons des cours sur le droit aérien, la sécurité des vols, la performance client… mais aussi sur des thèmes moins “opérationnels” : leadership, communication, confiance en soi. Nous sommes une promotion de dix pilotes : la moitié ira sur Airbus A220, l’autre moitié sur Boeing 737.

Une nouvelle responsabilité

Replonger dans nos manuels prend une dimension différente : nous ne serons plus seulement copilotes, mais responsables de la sécurité des passagers, de l’équipage, du fret. Egalement garants de la mission commerciale : ponctualité, régularité, confort, communication. Les rappels en droit aérien soulignent que nous devenons aussi l’autorité à bord. Le commandant doit assurer la sécurité, débarquer un passager ou un chargement dangereux si nécessaire.

Le rôle implique une gestion constante des priorités : s’assurer que la visite prévol est réalisée, que l’Aircraft Technical Logbook (suivi de l’entretien avion) est rempli et signé, vérifier les équipements de sécurité, l’oxygène, l’huile, le carburant… sans oublier la météo et les limites opérationnelles.
En réalité : une fonction où tout regard converge vers nous, en cas de réussite comme en cas de crise.

Et moi, suis-je prêt ?

Après plus de 7 000 heures de vol, je sais que j’ai les bases techniques pour apprendre un nouvel avion. Mais suis-je prêt, humainement, à endosser ce rôle ? Ai-je mesuré l’ensemble de mes responsabilités ? Mais alors… qu’attendent les passagers de nous ? Et vous, qu’attendez-vous de votre commandant quand vous partez en voyage ? Un expert ? Un leader ? Un être exemplaire, courageux, humain ?

Leadership et intelligence émotionnelle

Pour creuser ces questions, nous avons eu deux jours de formation sur le leadership et la communication. L’écoute, le questionnement, l’intelligence émotionnelle… Autant de notions que j’avais déjà croisées, mais qui deviennent ici de vrais outils. Dans la vie, quand on fait face à une décision difficile, plusieurs approches existent : consulter, prendre le temps, analyser. Mais à 900 km/h, le luxe du temps disparaît. Le pilote doit décider, souvent vite, et pourtant sans précipitation.

Contrairement à ce que l’on croit, nous ne sommes pas des machines insensibles. L’avantage, c’est que nous travaillons à reconnaître et gérer nos émotions.

Les émotions — joie, peur, colère, tristesse — trouvent difficilement leur place dans un cockpit. Ce que nous développons, c’est l’intelligence émotionnelle : ce mélange d’aptitudes émotionnelles et sociales qui influence nos décisions.

Prenons une panne importante en croisière, qui impose un déroutement :

  • Stress : il monte forcément, mais devient une énergie utile. À nous de le canaliser.

  • Décision : résister à l’impulsion d’aller “au plus vite” et prendre le temps de vérifier : météos, pistes disponibles, performances

  • Relations humaines : mon équipage doit comprendre la situation. Je prendrai un moment pour expliquer et rassurer les passagers.

  • Expression individuelle : le copilote doit pouvoir exprimer son avis, même s’il est divergent

C’est cela, le leadership : décider, mais en intégrant la communication et la cohésion.

Les zones grises

Enfin, deux jours ont été consacrés à l’analyse d’événements complexes du passé. L’occasion de rappeler une vérité : si tout n’était qu’application de check-lists, notre métier serait simple et probablement remplacé par une IA (Jusqu’à quand?!). Le rôle du commandant commence là où il n’y a plus de procédure pré-écrite. Ce sont les zones grises, celles où l’expérience, le jugement et la personnalité font la différence. Il n’existe pas deux commandants identiques : chacun aura sa manière de gérer.C’est là que l’on mesure que ce rôle, plus qu’une fonction, est une incarnation. C’est le moment de montrer qui l’on est.`

Les premiers vols en place gauche mais avec encore les 3 gallons

La QT 737

Retour dans le simulateur – cette « boîte » dans laquelle les pilotes aiment étrangement revenir. Un mois complet à enchaîner des dizaines d’heures dans le noir : pannes en cascade, scénarios complexes, météos difficiles… parfois tout en même temps. Fuites hydrauliques, commandes de vol dégradées, perte de navigation, j’en passe.

Et après chaque exercice ? Débriefing. Puis encore un autre. Jusqu’au jour redouté : le test réglementaire. Celui qui scelle l’aboutissement de la formation. Un tampon de plus sur la licence : Boeing 737. Un avion de plus maîtrisé.

Le stage Captain en simulateur

Six séances de quatre heures, taillées pour nous pousser dans nos retranchements. Les opérations par temps froid, le givre et ses procédures lourdes. Les pannes moteurs à répétition, toujours au pire moment. Des aéroports compliqués. Des clairances ATC improbables. Des passagers qui refusent de suivre les consignes. Des évacuations au sol. Des scénarios d’amerrissage. Du carburant à peine suffisant pour un déroutement.

Des dizaines de mayday plus tard, nous voici face au test final. Celui qui, cette fois, nous valide comme Commandant de Bord avant même de prendre le siège pour de vrai.

Du 777 au 737

Mon ex (le 777) s’est invité à mon premier rendez-vous avec le 737.
C’est exactement ce que l’on ressent en changeant d’univers : passer d’un long-courrier massif et posé, au rythme lent, à un monocouloir vif et nerveux où tout s’accélère.les premiers vols, jusqu’au lacher

Les premiers vols – jusqu’au lâcher

Puis vient le grand moment : retour en ligne, assis à gauche pour la première fois. À droite, un instructeur. Derrière, 189 passagers qui n’ont pas payé pour assister à ce spectacle, mais qui y participent sans le savoir.

Oui, il est probable que vous ayez déjà voyagé avec un pilote en instruction sans le remarquer. Rassurez-vous : il sait déjà piloter son avion. Ce qu’il vient chercher, c’est l’expérience, la finesse, la confirmation qu’il peut assumer ce rôle en conditions réelles.

Environ six semaines de vols suffisent à couvrir l’essentiel du réseau. Puis vient le dernier test de validation. Cette fois, ce n’est plus un simple tampon : ce sont les quatre galons que l’on me remet sur les épaules.

Mon premier vol en tant que Commandant est déjà programmé : cap sur Rovaniemi, aux confins du Grand Nord. Je n’y ai jamais mis les pieds. Mais je suis prêt.


10 questions à se poser avant de devenir pilote
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