Mon parcours
Aujourd’hui commandant de bord sur avion de ligne, je n’ai pourtant pas toujours su comment y parvenir. Il fut un temps où j’étais comme vous : un adolescent curieux, qui connaissait à peine l’aviation et ignorait totalement comment devenir pilote. J’avais 16 ans lorsque j’ai commencé à m’intéresser au métier. À cette époque, je n’avais pris l’avion que cinq ou six fois. Impossible de me souvenir sur quels types d’appareils… Mais peu importe. Ce qui comptait, c’était l’image que je m’en faisais : voyager, vivre en horaires décalés, fuir la routine. Et surtout, appartenir à un monde en mouvement, rencontrer des gens venus d’horizons différents. Très vite, j’ai attrapé le virus de l’aviation, et il ne m’a jamais quitté.
À l’époque, Internet ne regorgeait pas d’informations comme aujourd’hui. J’ai donc frappé à la porte d’Éric, le voisin de mes grands-parents, commandant dans une compagnie disparue depuis. Il m’a expliqué les différentes étapes : licences de pilotage, vol aux instruments, travail en équipage, sans oublier la théorie de l’ATPL (Airline Transport Pilot Licence). Honnêtement cela paraissaît compliqué. Mais il a conclu par deux phrases restées gravées :
— “Tu es jeune, tente l’ENAC et les Cadets d’Air France. Tu auras tout le temps de voir après.”
— “Et mets les fesses dans un vrai avion, ce serait bien de vérifier que tu aimes ça.”
La semaine suivante, ma mère m’offrait un baptême de l’air. Vingt ans plus tard, je n’ai toujours pas oublié ce premier décollage.
Conseil #1 : être passionné d’aviation, est une chose. Mais voler, c’est aussi accepter les turbulences, la météo capricieuse, la fatigue... Avant de rêver, assurez-vous que vous aimez le pilotage d’un petit avion.
En 2001, le bac en poche, je rejoins une classe préparatoire. Un après-midi, en rentrant, la nouvelle tombe : nous sommes le 11 septembre. Beaucoup auraient alors changé de cap. Pas moi. Je savais que les pilotes resteraient nécessaires, et que ma formation durerait assez longtemps pour absorber la crise.
Conseil #2 : face aux crises, il n’y a jamais de certitude. Seulement des choix. Choisir son orientation, c’est faire un pari : sur sa vie, sa carrière, son avenir. Comme tout pari, il peut rapporter gros ou coûter cher. Les crises sont cycliques : pétrole, guerre, virus etc. Mais l’aviation se releve presque à chaque fois. Souvenez-vous : un pilote prend sans cesse des décisions, s’y tient, et regarde devant.
A l’université j’intègre une formation scientifique dotée d’un atout précieux : un module « mécanique du vol ». Cerise sur le gâteau, le deuxième semestre comprend des vols hebdomadaires en planeur. Après le stress des décollages en remorquage, vient la liberté. Le plaisir pur de rester en l’air, poussé seulement par les ascendances.
Premier décollage.
J’obtiens ma licence de pilote de planeur. Nous sommes en 2002 : j’alterne études, un petit boulot et la préparation aux concours. Première tentative à l’ENAC : échec aux écrits. Deuxième tentative : les Cadets d’Air France. Échec encore aux tests psychotechniques, faute de préparation.
Conseil #3 : à vouloir tout faire en même temps, on finit par échouer partout. Fixez vos objectifs, concentrez-vous sur l’essentiel, et éliminez le superflu.
Le verdict tombe : éliminé des sélections Air France. À l’époque, un débriefing suivait. Je me souviens encore :
— “Vous pourrez retenter dans trois ans, à condition d’avoir 1000 heures de vol. Ou alors, si vous réussissez l’ENAC, cette condition disparaît. Vous savez ce qu’il vous reste à faire ?”
Ce jour-là, j’ai compris ma nouvelle priorité. Je quitte mon petit boulot, passe mes journées à la bibliothèque, prépare les entretiens, et révise l’anglais.
Le jour du concours, je suis prêt. Pas de regrets.
Conseil #4 : Faut-il être bon élève pour devenir pilote ?
Un bon niveau scolaire aide, bien sûr, mais les compagnies recherchent avant tout un profil équilibré. Mieux vaut être « moyen partout » qu’excellent dans une seule matière. Piloter, c’est toucher à tout : météo, anglais, droit aérien, facteurs humains, technique. C’est aussi savoir gérer des priorités dans un environnement qui change chaque jour.
Préparer l’ENAC / les KD
Pendant ma 3e année d’université, je redouble d’efforts pour préparer le concours de l’ENAC. Les programmes me paraissent plus clairs, je me sens prêt.
Étape 1 : les écrits.
Maths, physique, anglais. Les QCM progressifs sont une vraie course contre la montre : les premières questions sont simples, mais il faut raisonner vite pour aller jusqu’au bout. La chance joue aussi : je tombe sur un exercice de thermodynamique que j’avais révisé la veille. Direction Toulouse pour la suite.
Conseil #5 : Faut-il préparer les épreuves psychotechniques ?
Officiellement, elles « ne demandent aucune connaissance particulière ». En réalité, la plupart des candidats se préparent, et cela fait gagner un temps précieux. Une préparation modérée est utile. Trop bachoter peut au contraire vous bloquer si le test diffère de ce que vous avez vu.
Toulouse : tests et rencontres
Un mois plus tard, me voilà dans la Ville rose. En regardant les avions au décollage, une pensée me traverse : tu veux devenir pilote et tu as peur en avion ? En réalité, ce n’était pas de la peur, juste de l’appréhension. Une fois dans l’ambiance, je me sens à ma place. Les tests mesurent la logique, la rapidité de décision, et surtout le bon sens. Pendant les pauses, on échange entre candidats, chacun avec son histoire et sa vision du métier. Certains deviendront collègues, d’autres disparaîtront du paysage.
Étape 3 : le test psychomoteur
Un joystick, quelques boutons, une croix à garder centrée, des calculs mentaux, des lettres à repérer… L’interface est différente des simulateurs trouvés sur internet, mais en une fraction de seconde je retrouve une sensation familière : mes heures passées enfant à jouer sur l’Atari familiale.
Conseil #6 : L’habileté se travaille.
Elle procure une aisance précieuse en pilotage, formation et carrière. Piloter, c’est corriger en permanence : ce que vous voyez dehors, ce que vous ressentez, ce que disent les instruments.
Les dernières étapes du concours ENAC
Les épreuves finales, appelées “psy 2”, ont lieu en juin. Elles comprennent des exercices de groupe, un entretien avec des pilotes, un psychologue et un enseignant d’anglais.
Conseil #7 : Travaillez votre nœud de cravate. Non seulement cela vous servira toute votre vie, mais cela vous évitera un stress inutile le matin de la sélection !
Les épreuves de groupe
Nous sommes installés en U, cinq ou six candidats face à un jury composé de deux pilotes et d’un psychologue. Après une brève présentation, le débat démarre sur des sujets de société. Le but : animer, structurer, écouter, synthétiser.
Thèse, antithèse, conclusion.
Il faut prendre des notes, solliciter les plus discrets, tempérer les plus bavards.
Conseil #8 : On vous observe surtout sur votre rapport aux autres. Comme dans la vie d’un équipage, il s’agit de trouver l’équilibre entre s’affirmer et écouter. L’esprit de synthèse, la capacité à inclure tout le monde, comptent autant que les idées elles-mêmes.
Suit un problème à résoudre collectivement. Chaque candidat reçoit une feuille avec des données différentes. Il faut partager les informations clés, puis trouver et exposer une solution commune. Les épreuves sont parfois volontairement complexes, voire insolubles. L’important est moins la réponse finale que la manière dont le groupe avance et dont chacun prend part à la décision.
Conseil#9 : Décider, même quand aucune solution parfaite n’existe. Assumer une erreur montre plus de maturité que l’éviter.
L’entretien individuel
Vient ensuite l’entretien avec les pilotes : l’occasion de parler de soi, de son parcours, de ses motivations. Chaque entretien est différent. Parfois bienveillant, parfois plus déstabilisant, l’essentiel est de rester cohérent et confiant.
Conseil #10 : Préparez vos motivations. Une feuille blanche, vos raisons, vos échecs, vos réussites. Les échecs font partie de votre histoire : ne les cachez pas. Renseignez-vous aussi sur la formation, les centres, les avions. Construisez un discours clair, sans le réciter.
Psychologue et anglais
L’entretien psychologique explore vos origines, vos relations, vos ambitions, vos projets. Le but : déceler d’éventuelles incohérences ou fragilités.
Enfin, l’épreuve d’anglais : un texte d’une demi-page à présenter, suivi d’une discussion avec l’examinateur.
Conseil #11 : Travaillez votre anglais au quotidien. Radio, lecture, vidéos, films. Multipliez les sources, enrichissez votre vocabulaire et vos idioms.
Résultats et admission
Fini ! Il fait beau, il fait chaud, et je peux enfin desserrer mon nœud de cravate. Un mois plus tard, la lettre d’admission tombe : je suis reçu, 17e sur 42. L’émotion est immense. Champagne, famille, été radieux… Mais le concours n’est qu’une étape. Nous sommes en juillet 2004, et déjà, une nouvelle aventure commence : l’entrée en formation à l’ENAC.